Installations – 2000
2000 ————————————
F3D – Peinture sur bois
Lors de cette exposition A. D nous montre les F3D, des volumes accrochés comme des tableaux, la 3 ème Dimensions face au mur. On regardant le travail dans son ensemble, on peut être amené à penser que cette face cachée est un espace à découvrir, l’envers du décor, une face cachée qu’A. D semble continuer à interroger, une troisième dimension qu’il nous raconte dans ses notes d’atelier :
Si j’avais choisi la forme pour son image, je n’aurai pas continué à travailler avec, elle n’aurait eu qu’un temps de vie.
Comme si la F3D allait m’aider à trouver l’intérêt que suscitent ces choses (images, mots, formes, rencontres, oeuvres, histoires, objets …) pour y trouver une logique, un sens.
Cette chimie particulière ne peut se faire que si la forme F3D a été choisie de manière instinctive, sensible (réunion de l’instinct sensible et de l’instinct formel selon Shiller) sans aucune autre raison que de la trouver à son goût, me permettant une liberté totale d’utilisation.
Cette étape est très importante car les formes doivent être vides pour pouvoir les remplir de mon corps, comme si je me libérais de quelque chose. Alain Doret, 2000-2009.
L’entretien réalisé à l’occasion de cette exposition raconte assez bien l’origine de la démarche et nous amène aujourd’hui, à mieux comprendre son évolution.
Corinne Domer : C’est la première fois que tu as l’opportunité de montrer un ensemble de F3D.
Cette série est composée de formes différentes, de par leur configuration et leur couleur . Elles ont cependant comme un air de famille que tu nommes d’ailleurs F3D: monumentalité, échelle, volume, couleurs bonbon acidulé, découpes… F3D, une marque?
Alain Doret : Non, il ne s’agit pas d’une marque. Je les nomme F3D parce que Forme en 3 Dimensions.
Leur familiarité provient du fait que je choisis l’image de ces formes sur des documents de même nature.
C.D. : La vue est un toucher à distance qui peut transformer une réaction immédiate, un réflexe en représentation sensible. Tu aurais pu t’arrêter à ce stade. Des milliers de formes nous entourent, pourquoi avoir choisi celles-là?
A.D. : Je les choisis de manière spontanée, presque avec naïveté. Une forme d’évidence…Devant elles, je ressens une émotion particulière. En même temps, elles possèdent quelque chose qui n’est pas définissable. Je ne peux expliquer clairement mes choix, mais partager les rapports que l’on entretient avec les F3D.
C.D. : Ces formes sont accueillantes, généreuses. Elles nous invitent à jouer avec elles, à les choisir ,
à les comparer.
A.D. : Oui, j’espère que cela se produise. Je cherche à créer une immédiateté visuelle, et donner ainsi la possibilité au spectateur de pouvoir s’immiscer facilement.
La plupart du temps, les échanges débutent sur un mode d’identification. Elles créent une parole spontanée, subjective.
C.D. : Certaines d’entre elles nous inciteraient presque à les toucher tant elles semblent molles, déformables.
A.D. : C’est l’une des raisons pour laquelle je choisis une peinture acrylique mate qui capte davantage la lumière et rend la couleur plus évanescente, accentue une découpe plus franche de la forme; une Glycéro donnera un aspect plus onctueux, enveloppera encore plus les rondeurs.
C.D. : On pourrait en rester là …relégués à l’indifférence tant elles nous semblent pleine d’assurance, abouties, parfaites, riantes.
Cette facilité d’être avec, nous empêcherait presque de continuer à les voir. Leur générosité tend à se refermer sur elles.
A.D. : Nous sommes dans un monde d’images où tout va très vite. Je crois que nous sommes tous confrontés à cette façon de plus en plus rapide d’appréhender ce qui nous entoure. Ce qui peut effectivement empêcher de faire l’expérience du regard. Le spectateur est libre. Je ne veux pas tout maîtriser, cela ne m’intéresse pas. Et puis cela fait partie du jeu.
C.D. : Prise une à une, leurs qualités intrinsèques se singularisent. Le jeu devient sérieux, notre regard s’aiguise, leur particularité s’affine : la couleur, la qualité de la peinture, la complexité des structures,
la réalité du support.
A.D. : Je crois qu’elles sont d’une extrême intimité. Cette façon de les choisir me permet d’aller à l’essentiel et de ne pas me perdre dans une confusion de souvenirs, d’expériences particulières.
Du même coup, je peux m’impliquer totalement dans l’acte de faire, je peux rester ouvert et attentif aux phénomènes plastiques.
C’est l’individu que je suis, vivant dans une époque
précise qui m’amène à penser et à voir dans ces formes ce que je suis.
C.D. : Cette peinture en trois dimensions pourrait s’appeler » peintures en sculptures ». Est-ce que ce couple t’intéresse au point de le dissocier, de le distinguer radicalement? Ou le sujet finalement, c’est toujours la peinture?
A.D. : Je pense que les F3D par leur réalité tridimensionnelle, affirmée par leur échelle mais aussi par leur épaisseur, pénètrent dans l’espace où nous sommes mais gardent un lien avec l’espace mural.
Cette contradiction apparente leur permet de révéler le mur où elles sont accrochées et l’espace dans lequel nous pouvons nous déplacer physiquement.
En fait, je crois que je n’ai toujours pas réglé ce problème lié à la peinture que l’on accroche au mur.
Les murs sont toujours là…
Dans les dessins muraux, les toiles cirées, le jeu de superpositions permet aux formes de flotter et de jouer avec l’espace mural.(…) Je tente d’utiliser le mur non pas comme un support qui limite un espace mais comme un écran où nous pouvons voyager.
La peinture et la sculpture sont des médiums qui traitent de la matérialité de l’espace. En cela, il est intéressant de questionner leurs rapports. Dès l’instant où l’on veut les distinguer, on risque de se limiter à une définition.
C.D. : L’essence pratique de la sculpture reste ses trois dimensions . Au-delà de cette permanence, on ne peut faire l’abstraction de l’implication technique qu’elle suppose, le temps de son élaboration, sa pesanteur, son encombrement, des manipulations difficiles. La sculpture est obstinément terrestre.
A.D. : C’est dans mon cadre intime et lors des manipulations d’accrochage que je sens le plus cette confrontation physique.
Il n’est pas impossible qu’un jour, des formes envahissent tout l’espace…Une autre histoire.
C.D. : Dans notre contexte économique, cette gêne matérielle choisie pourrait être considérée comme une forme de résistance, devenir idéologique.
A.D. : Quoi que l’on fasse, on est toujours confronté à une gêne matérielle. On ne fait que l’adapter à son travail artistique. En cela, je pense qu’il ne s’agit pas d’une forme de résistance mais plutôt d’un engagement lié à ma pratique. Cette façon de faire s’impose.
C.D. : Tu procèdes comme si tu désirais comprendre de manière concrète, physique le choix que tu as fait spontanément.
A.D. : J’essaie de comprendre le mieux possible ce rapport émotionnel, affectif qui me fait faire ce choix afin qu’il s’en dégage des choses, mais je ne tiens pas à les posséder. Je veux que cela continue à m’échapper.
C.D. : Est ce dire d’une certaine façon que le temps consacré à cette expérience qui engage tous les sens, pourrait permettre en retour un regard spécifique sur ce qui nous entoure?
A.D. : Les choses qui nous entourent ont un passé lié à notre histoire, à notre société. Les choses qui nous entourent nous font comprendre notre évolution technologique, formelle, esthétique. C’est sur ces choses que nous transportons notre regard.
C.D. : Tu confères à ce geste artistique un rôle, celui de te donner une vue consciente et sensible . En même temps, l’immédiateté que tu cherches à donner au spectateur peut l’empêcher en retour d’avoir une lecture attentive à l’espace que tu lui proposes.
N’est ce pas une contradiction ?
A.D. : Je pense que faire l’expérience du regard est très intime et qu’elle nécessite un véritable engagement.
Ce qui me semble intéressant, c’est que même une appropriation hâtive dépend de multiples rapports.
Et ici, c’est la réalité plastique de ces formes qui crée ces rapports.
Corinne Domer / Alain Doret, octobre 2000